LE PARISIEN 17/01/2020
Règles à respecter
Par Frédéric MOUCHON
Ils fleurissent sur nos routes et sont la hantise des automobilistes. Les dos d’âne deviennent même un véritable cauchemar quand ils ne sont pas signalés ou quand – cela est très fréquent – ils sont si hauts que même un passage · à vitesse réglementaire peut · s’avérer risqué pour votre voiture. Voire carrément dangereux si vous êtes deux-roues ! Un comble pour un équipement de sécurité routière. Reste que ce dispositif est aujourd’hui particulièrement plébiscité par les mairies pour calmer les ardeurs des chauffards. “Peut-on vraiment leur reprocher, quand des vies humaines sont enjeu ?”
Évidemment non. Mais “il s’agit de ne pas en abuser non plus et, surtout, de ne pas s’écarter de la loi quand il est justement question” de la faire appliquer.
Quand les panneaux « Zone 30 » ou « Attention enfants » n’ont plus d’effet, que même les radars de vitesse pédagogique n’incitent pas les automobilistes à lever le pied lorsqu’ils arrivent en Ville, les élus n’ont souvent pas d’autre choix que d’installer des dos d’âne sur la chaussée. Une arme hyper efficace pour « casser la vitesse». “Mais sur les 400000 ralentisseurs installés en France, une majorité ne respecteraient pas les normes officielles de hauteur ni celles d’emplacement fixées par la loi. C’est ce que dénonce !’Association pour une mobilité sereine et durable. Cette ONG défend des conducteurs dont le véhicule a été endommagé ou qui ont été victimes d’un accident après avoir roulé sur une portion de chaussée surélevée.”
Un automobiliste vient d’obtenir en justice la condamnation du maire de Saint-Jean-le-Vieux (Ain) à la suite de l’installation d’un équipement non conforme. « De plus en plus de gens nous contactent pour nous signaler des irrégularités et nous demander comment procéder pour faire détruire un ralentisseur hors norme ou illégal », explique le président de l’association, Thierry Modolo Dominati. Dans l’Ain, le tribunal administratif a considéré que le modèle incriminé était trop haut et que l’axe sur lequel il a été construit était trop fréquenté. Ce que conteste le premier édile de Saint-Jean le-Vieux, qui a fait appel.”
« La vitesse a baissé à cet endroit à 25 km/h »
“« Il n’y a pas 7000 véhicules par jour sur cette départementale mais moins de 1800, et si nous avons installé ce ralentisseur sur cette route, c’est pour protéger les habitants qui réclamaient plus de sécurité, argumente Christian Batailly. D’ailleurs, l’effet est positif puisque la vitesse abaissé” à cet endroit à 25 km/h en moyenne. Avant, 15 % des automobilistes circulaient à plus de 75 km/h. » Ces arguments n’ont pas pesé auprès du tribunal administratif de Lyon qui estime que le « ralentisseur ne respecte pas les règles » et exige sa « destruction pure et simple » ou sa transformation».
“Forte de ce jugement, l’Association pour une Mobilité Sereine et Durable a décidé d’entamer deux procédures beaucoup plus lourdes contre la métropole de Toulon et le département du Var afin d’exiger la destruction de plusieurs centaines de ralentisseurs qu’elle estime illégaux.”
Pour éviter le grand n’importe quoi, le Centre d’Etudes sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les Constructions Publiques (qui dépend du ministère de !’Ecologie) a édité un guide méthodologique de 37 pages consacré aux« coussins et plateaux » et destiné aux services techniques. Ce document rappelle les textes et normes en la matière et fournit un mode d’emploi très précis des procédures à respecter et des matériaux à utiliser ou à proscrire.” Un dos d’âne qui se lève si on arrive trop vite
On y apprend notamment que les coussins en caoutchouc ont généralement une mauvaise tenue dans le temps »ou que les dos-d’âne en béton ont tendance à s’effriter à cause du passage des poids lourds, ce qui n’est pas sans conséquences «sur la tenue de route des deux-roues ».”
“Certaines chaussées surélevées, conçues avec des matériaux en plastique ou en métal, peuvent s’avérer extrêmement dangereuses”
“Le délégué interministériel à la Sécurité routière reconnaît lui-même que certaines chaussées surélevées, conçues avec des matériaux en plastique ou en métal, peuvent s’avérer extrêmement dangereuses, notamment pour les motards en cas de pluie. Mais pas question pour Emmanuel Barbe de jeter le bébé avec l’eau du bain. « Peu de villes ont des polices municipales capables d’effectuer des contrôles de vitesse. Installer un ralentisseur est souvent la seule solution pour faire respecter les limitations en ville. Et le fait est que ça fonctionne plutôt bien. » « il est évident que ces équipements doivent être aux normes, abonde la présidente de la Ligue contre la violence routière Chantal Perrichon. Mais quand les habitants se sentent en danger, c’est le seul moyen qu’ont les élus pour protéger leurs administrés. »”
“Le meilleur compromis possible, c’est sans doute Gwyn Harvey qui l’a inventé. Ce sexagénaire gallois a mis au point un ralentisseur couplé à un capteur de vitesse. Il reste plat sur le sol quand on respecte les limitations mais se lève (en quelques millisecondes) si on arrive trop vite. Au dernier British Invention Show, sa trouvaille a reçu le prix de « l’invention qui devrait le plus certainement bénéficier au genre humain ». Rien que ça!”
Interview de Patrick GAULMAIN – Avocat en droit public
L’avocat Patrick Gaulmin a de nombreuses procédures en cours contre des maires ou des conseils départementaux qui ont installé des ralentisseurs trop hauts ou au mauvais endroit
Vous avez obtenu du tribunal la condamnation de la commune de Saint-Jean le-Vieux (Ain) à supprimer l’un de ses ralentisseurs.
Quels étaient vos arguments ?
“J’ai été saisi par un conducteur qui a eu le carter de sa voiture fendu après y être passé. Après constat d’huissier, nous avons découvert que ce ralentisseur faisait presque deux fois la hauteur limite, fixée à 10 cm. Il a par ailleurs été installé sur une route qui voit passer plus de 3 000 véhicules par jour, ce qui n’est pas légal. D’après un “décret de 1994, ces aménagements doivent respecter certaines spécificités et leur lieu d’implantation .respecter certaine conditions.”
Lesquelles? ·
On ne peut pas en installer hors agglomération Et si vous voulez en implanter un sur un axe où circulent des bus et des véhicules de secours, il faut d’abord les consulter. Un reportage a montré qu’une conductrice de bus pouvait passer jusqu’à 300 fois par jour sur un ralentisseur ! Beaucoup d’automobilistes se plaignent notamment de leur hauteur. On en voit qui mesurent 20 à 25 cm, alors qu’ils ne devraient pas dépasser 10 cm ! Les gestionnaires de voirie se contentent parfois de construire leur dos-d’âne à hauteur de trottoir. Les ralentisseurs sont souvent trop hauts, illégaux et parfois dangereux. C’est pourquoi je suis souvent saisi par des particuliers dont cours de cyclistes qui ont eu “de gros préjudices corporels après une telle chute. A Strasbourg, un client a eu des côtes cassées, un pneumothorax et a dû avoir une prothèse de pouce après être tombé sur la voiture a été endommagée, un dos-d’âne trop haut par des associations de conducteurs ou encore par la Fédération des Motards en Colère pour des aménagements qui ne respectent pas la réglementation et font courir un risque aux usagers de la route.
Pourquoi les jugent-ils dangereux?
Beaucoup de motocyclistes sont tombés en roulant sur des ralentisseurs trop hauts. Certains aménageurs en construisent en pierre, mais lorsqu’il pleut ou qu’il y a des résidus d’huile, c’est très glissant.
Que faites-vous quand vous jugez un aménagement hors norme?
J’effectue une demande auprès du maire ou du conseil départemental pour le faire démolir, mais si rien ne se passe, je saisis le tribunal administratif. J’ai de plus en plus de procédures en cours à Lille, Amiens, Strasbourg, Montpellier, Nice. Dans le seul département du Var, qui compte plus de 900 ralentisseurs, j’estime que les trois quarts sont illégaux.”
Sanary les a bannis
Diane ANDRESY
A SANARY-SUR-MER (VAR)
La cité balnéaire a remplacé les dos-d’âne par des ronds-points végétalisés.
“Ici, vous ne croiserez ni dos d’âne ni coussin berlinois ni même de banal ralentisseur Cité balnéaire de 18000 habitants (quatre fois plus en été), la commune de Sanary-sur-Mer, près de Toulon (Var), les a bannis en ville, comme les feux rouges”
“J’ai tout fait enlever à mon arrivée ! déclare le maire, Ferdinand Bernhard (DVD). Cela relève de la démagogie électorale que de céder aux demandes de ralentisseurs partout. Si j’avais dû dire oui à tous ceux qui réclamaient un dos-d’âne devant chez eux, on en serait à 2 000 sur la commune !»”
“Pour lui, la circulation a gagné en fluidité. « On a mise sur le civisme des usagers de la route, et ça marche. Depuis quelques années, aucun accident dramatique ne s’est produit sur les voies où ils ont disparu. Les statistiques le prouvent. » Effectivement. l’accidentologie en ville n’a pas augmenté. « Les dos-d’âne obligent quand même les automobilistes et les motards à freiner Sinon, ça râpe !» rappelle Emmanuelle, employée d’une auto-moto-école située tout près d’un rond-point où le trafic est dense. Mais pour elle, l’idée d’aménager des ronds-points arborés pour remplacer les ralentisseurs n’est pas bête : «C’est joli et ça oblige les conducteurs à ralentir lorsqu’ils arrivent à une intersection. Sinon, ils ne voient rien au moment de passer le carrefour».
C’était justement l’option choisie par la mairie : mettre de la végétation en amont et sur les ronds-points pour créer un effet paroi qui contraint les usagers de la route à faire attention. Ainsi, partout en ville, les «giratoires verts» se succèdent. «il y en a beaucoup, même trop. On passe notre temps à accélérer et décélérer, regrette Martine, une résidente. Je ne suis pas favorable à des dos-d’âne partout mais devant les écoles ou les bâtiments accueillant du public, il en faudrait.»
Pas plus de bouchons qu’ailleurs
Pour la Fédération des Motards en Colère, Sanary est un exemple : «Il faut arrêter d’infantiliser les gens avec ces ralentisseurs qui abîment les véhicules et font courir de graves dangers aux motards», clame Sébastien Roig, le président départemental. Son combat est également de lutter contre les dos-d’âne trop hauts et trop inclinés. « Dans le Var, certains s’élèvent à 20, voire 30 cm. C’est illégal et meurtrier. » L’association a d’ailleurs intenté une action en justice à Toulon pour faire retirer ces « empoisonneurs de circulation ». Dans le centre de Sanary, il n’y a pas plus de bouchons qu’ailleurs, et la commune commence à faire des émules. Dans la ville voisine de Bandol, les ralentisseurs qui se succédaient le long du port ont été enlevés. Une généralisation à tout le centre ville est envisagée.”
“On a misé sur le civisme des usagers de la route et ça marche. Depuis quelques années, aucun accident dramatique ne s’est produit.”
Ferdinand BERNHARD.
MAIRE DVD DE SANARY-SUR-MER